Comment l'université Cadi Ayyad de Marrakech devient une "Smart University" : ENTRETIEN DU PR. A. MIRAOUI, PRÉSIDENT DE L'UNIVERSITÉ CADI AYYAD, AVEC M.ALFRED MIGNOT,RÉDACTEUR EN CHEF DE LA TRIBUNE HEBDO

Dans le premier volet du long entretien qu'il nous a accordé, Abdellatif Miraoui, président de l'Université Cadi Ayyad de Marrakech et Président de l'Agence universitaire de la francophonie, a détaillé pour LaTribune.fr l'intérêt des cours enregistrés qu'il a mis en place. Dans ce deuxième volet, il nous parle plus longuement de la "smart university" qu'il déploie, et des choix stratégiques de développement de son université.

LA TRIBUNE - Avec Microsoft, vous avez lancé la "smart university". De quoi s'agit-il ?

Professeur Abdellatif MIRAOUI -La "smart university" est aussi un paradigme nouveau, et cela dépasse largement le seul aspect numérique ! L'université intelligente ne l'est pas seulement au sens digital, elle l'est aussi en termes de fonctionnement, de respect de l'environnement, d'optimisation de la gouvernance...

C'est parce que nous sommes les premiers en Afrique francophone que Microsoft nous a choisis pour investir plus de 2 millions de dollars. L'objectif : rendre le wi-fi fluide et le généraliser à l'échelle de tous les établissements de l'université. C'est ainsi que maintenant les étudiants peuvent rester connectés partout, à l'intérieur mais aussi sur les bancs du parc de l'université. C'est aussi pourquoi, l'université est en train de travailler pour que le smartphone devienne un véhicule de pédagogie, car c'est un outil que tous les étudiants possèdent.

Nous avons d'ailleurs développé une application smartphone : l'étudiant doit s'inscrire pour s'identifier, puis il a accès à tous les cours qui le concernent. Nous avons également entrepris d'étoffer cette application, de telle sorte que les jeunes puissent recevoir des informations, des notifications comme par exemple sur Facebook : "vous avez un examen ; votre cours est déplacé", etc. Outre que l'étudiant dispose de tout le contenu des cours, il peut aussi obtenir une attestation, vérifier ses notes, etc.

Au terme de quel processus de sélection Microsoft vous a-t-il choisi ?

Il n'y a pas eu d'appel d'offre... En fait, ils ont observé que l'université bougeait dans le sens du numérique, et ils nous ont invités à Seattle, où j'ai rencontré le numéro deux de Microsoft. Je lui ai fait part de notre intérêt et six mois plus tard, il nous a fait savoir qu'il nous avait choisis pour travailler avec eux, considérant que notre université était la mieux classée, et qu'elle sait où elle veut aller.

Quelles sont les disciplines pour lesquelles vous revendiquez l'excellence ?

En tant que président de l'université, je suis tenté de vous répondre : dans toutes les disciplines, y compris les sciences humaines et sociales ! En fait, nous sommes avant tout reconnus comme une université de recherche, avec une plus forte visibilité sur les sciences exactes, la faculté des sciences et techniques ainsi que les écoles d'ingénieurs. Ce sont les deux piliers qui ont installé l'université en bonne place dans tous les classements internationaux et plus particulièrement ceux du Times Higher Education, qui  depuis trois ans place  l'Université Cadi Ayyad comme première université du Maroc, du Maghreb et de l'Afrique francophone).

Mais aussi, à la suite de différentes enquêtes que nous avons menées, il est apparu que certains de nos anciens étudiants, issus de nos facultés de sciences humaines, sont devenus des gens brillants et reconnus, souvent dans les médias, le droit international, les sciences politiques...

Depuis mon arrivée en 2011, nous avons essayé de valoriser les sciences humaines. Je venais de France, et les contrats que j'avais pu passer avec Alstom, General Electric, etc., m'ont appris que la dimension sciences humaines et sociales est présente dans tous les grands projets de recherche et appels d'offres européens et américains. Dès mon arrivée, nous avons travaillé pendant une année pour définir une nouvelle stratégie. Et nous avons publié un document qui est notre charte de référence. L'Université Cadi Ayyad est la seule université dans ce cas au Maroc.

Comment s'appelle ce document ?

Tout simplement "Stratégie de l'université". Après l'édition 2013-2016, nous avançons maintenant sur la base de l'édition 2017-2020. C'est ce qui permet à l'université de travailler sereinement, d'inscrire notre action dans le cap que nous avons choisi. Comme nous l'avons fait à la fin de la période 2013-2016, dans quatre ans nous évaluerons à nouveau nos forces et faiblesses, nos avancées avec les thématiques que nous avons choisies, par exemple « énergie, eau et environnement » qui a été au cœur de la COP22 de novembre dernier, ici à Marrakech.

N'était-ce pas un choix « opportuniste » ?

Non, car j'ai la conviction que les centres d'intérêt de la société doivent se retrouver dans l'université - contrairement d'ailleurs à ce qui se passe dans la plupart des grandes universités francophones en particulier, où l'on "fait de la science pour la science".

Sur ces thématiques sociétales, comme « énergie, eau et environnement », nous associons des savoirs multiples : des économistes qui travaillent dans le domaine de la mobilité urbaine, dans l'énergie, des physiciens, des mathématiciens...

La mobilité urbaine, c'est une autre de vos thématiques sociétales ?

Oui, et par choix délibéré car il n'y a aucun laboratoire, aujourd'hui au Maroc, aucune structure qui traite de la mobilité urbaine. J'évoque le Maroc, mais c'est le cas dans toute l'Afrique. Chaque fois que l'on a besoin de modéliser une ville, on fait appel à des Européens ou à des Américains. Mais on ne peut transposer à Marrakech les modélisations utilisées à Berlin ou à New York, ce n'est pas possible.

Il faut absolument que la mobilité soit traitée de manière nationale et locale. Nous avons choisi ce créneau, nous avons réuni pour cela des mathématiciens, des sociologues, des experts de l'automatisation, de la gestion des carrefours et des flux automobiles, et nous sommes en train de mettre en place une plateforme de réalité virtuelle qui permet de simuler la mobilité dans une ville comme Marrakech, et sa région.

Cet embryon de structures pragmatiques de recherche nous permettra de chercher des moyens financiers, et en même temps de répondre à un vrai enjeu sociétal, car aujourd'hui Marrakech étouffe.

La troisième thématique de travail que nous avons choisie, c'est celle des matériaux, particulièrement du patrimoine national. Par exemple, les batteries au lithium utilisent les phosphates, dont le Maroc est le producteur et leader mondial. Autre exemple : pourquoi utiliser le béton, alors que les produits de la montagne marocaine sont un matériau à portée de main ? On promeut donc les collègues qui travaillent sur les matériaux du patrimoine, et on les incite à coopérer  avec les géographes, les sociologues, afin de sauvegarder ce patrimoine souvent méconnu, pour essayer de le mettre au goût du jour, en réactualisant les savoir-faire traditionnels qui répondent à des problématiques toujours actuelles, par exemple comment filtrer et conserver l'eau dans des régions arides.

La quatrième thématique concerne tout ce qui est agroalimentaire, de l'agriculture de subsistance aux produits de luxe exportables, comme les produits issus de l'arganier ou des figues de barbarie, des produits qui possèdent de vraies vertus médicinales.

Voilà donc les quatre axes stratégiques de travail que notre université s'est fixée. Ainsi, à chaque fois que nous avons à décider de la création d'une filière pédagogique, nous nous demandons si cela correspond aux thématiques auxquelles notre université veut s'identifier. C'est ainsi que nous avançons, depuis quatre ans.

Propos recueillis par Alfred Mignot, le 26/02/2017

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