UN DEBAT SCIENTIFIQUE FINALEMENT CLOT GRACE AU GISEMENT DE FEZOUATA A ZAGORA, ANTI-ATLAS MAROC

Au cœur de l’Anti-Atlas Central réside un patrimoine fossilifère riche et unique au monde, magnifiquement illustré par la Formation des Fezouata (région de Zagora). Cette formation a fourni en abondance des faunes marines ordoviciennes riches et diversifiées, constituées d'organismes à squelette ainsi que des formes molles peu ou pas minéralisées, exceptionnellement bien conservées : le Fezouata Biota. Ce site marocain témoigne de la persistance inattendue de plusieurs groupes cambriens avec d’autres taxons typiques du Paléozoïque post-Cambrien. Ces organismes, peu ou pas minéralisés, n'avaient encore jamais été documentés dans des terrains ordoviciens, car les conditions dans lesquelles ils ont été ensevelis ne permettaient pas leur préservation. Ainsi, le Fezouata Biota est actuellement le seul gisement connu au monde permettant de combler la lacune de connaissance entre « l’Explosion cambrienne » et « la Grande Biodiversification Ordovicienne ».

Vue panoramique de la Formation des Fezouata, au nord de la ville de Zagora.

Des stylophores avec des parties molles ont été collectés dans le Fezouata Biota (Ordovicien inférieur), dans une petite excavation le long du flanc ouest de la colline de Bou Izargane, à 18 km au nord de Zagora (Anti-Atlas central, Maroc). Les stylophores, sont de petits organismes (généralement de 0,5 à trois centimètres de long) qui vivaient dans les océans entre 500 et 300 millions d’années. Ils étaient constitués d’un appendice unique et articulé, inséré dans un corps aplati et asymétrique. Leur appendice comprend deux parties distinctes : une région proximale très flexible (partiellement insérée dans le test) constituée d'anneaux imbriqués et une région distale relativement rigide constituée d’une file d’éléments massifs (ossicules) et, articulées à ceux-ci, de deux séries de plaquettes bisériées. Cette morphologie bizarre, avec un seul appendice s'étendant à partir d'un corps principal, est à l‘origine de controverses animées sur la position phylogénétique des stylophores depuis des décennies. Au début des années 1960, l'appendice des stylophores a été interprété comme un bras nourricier comparable en morphologie à ceux de divers échinodermes actuels (lys de mer, étoiles de mer). À la fin des années 1960, une seconde interprétation a littéralement retourné l’animal et a considéré l’appendice comme une queue, ce qui a conduit à considérer les stylophores comme les ancêtres des vertébrés. Plus récemment, l’appendice des stylophores a été interprété comme une queue musculeuse ressemblant à celle de certains hémichordés. Dans cette interprétation, les stylophores sont considérés comme des échinodermes primitifs, très proches morphologiquement de l’ancêtre commun des échinodermes et des hémichordés.

Les nouvelles technologies de cartographie élémentaire ont été appliquées aux stylophores pour décrire, pour la première fois, les traces de tissus mous chez les stylophores qui apparaissent sous forme de structures colorées jaune-rouge, résultant de l'oxydation de la pyrite. L’étude démontre que les stylophores avaient un système ambulacraire et que leur appendice n'était pas une queue musculeuse locomotrice. Cette nouvelle découverte issue de l'Ordovicien inférieur de la Formation des Fezouata permet donc de démontrer que l’appendice des stylophores correspond à un bras nourricier typique des échinodermes (sa morphologie est comparable à un bras unique de crinoïdes) et non à une queue (ou une tige) comparable celles des hémichordés ou des vertébrés.

C’est donc d’un cousin d’oursins qu’il s’agit et non d’un ancêtre des vertébrés !

L’étude a été dirigée par Bertrand Lefebvre, chercheur CNRS au Laboratoire de géologie de Lyon, et a impliqué le Laboratoire de Géologie de Lyon – Terre, planètes, environnement (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), le laboratoire Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne/EPHE), le laboratoire Géosciences environnement Toulouse (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier/IRD/Cnes), l’Université Cadi-Ayyad (Marrakech), le Museum National d’Histoire naturelle, ainsi que l’IRC (Chicago) et l’Académie californienne des Sciences (San Francisco).

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet ANR  ‘‘The Rise of Animal Life (Cambrian-Ordovician): organisation and tempo’’ (n° ANR-11-BS56-0025), du projet de coopération CNRS-CNRST VALORIZ (Marrakech-Lyon n° 52943) et du projet CNRS-INSU TelluS-INTERRVIE 2018 TAPHO FEZOUATA.

Stylophores conservés dans les collections du Musée d’Histoire Naturelle de Marrakech (Université Cadi Ayyad- Marrakech)